divendres, 25 d’agost del 2017

La révolution russe

Le train de la révolution russe

Entre le 27 mars et le 3 avril 1917, Lénine traverse l’Allemagne et la Scandinavie, pour rentrer en Russie. Ces huit jours de voyage ont changé la face du monde. Le Figaro retrace le récit de cet événement majeur du XXe siècle.

En mars 1917, Lénine vit dans la pauvreté à Zurich. Il est le chef en exil d’un petit parti révolutionnaire extrémiste. Huit mois plus tard, en octobre 1917, il est le maître de la Russie, un pays de 160 millions d’habitants qui s’étend sur un sixième des terres habitées du globe. Entre ces deux dates s’est déroulé l’un des épisodes les plus rocambolesques de l’histoire contemporaine: en pleine Première Guerre mondiale, avec l’aide du gouvernement du Kaiser, Lénine traverse l’Allemagne et la Scandinavie, pour rentrer en Russie. Ces huit jours de voyage, entre le 27 mars et le 3 avril 1917, ont changé la face du monde. «Des millions de projectiles destructeurs ont été tirés pendant la guerre mondiale, écrit Stefan Zweig dans Le Wagon plombé, mais aucun n’a tiré à plus longue distance, aucun n’a joué un rôle plus décisif dans toute l’histoire récente que ce train qui, chargé des révolutionnaires les plus dangereux, les plus déterminés du siècle, quitte la frontière suisse et fonce au-dessus de toute l’Allemagne pour atterrir à Saint-Pétersbourg et y faire éclater l’ordre du temps.»

Lénine, un révolutionnaire en Suisse

Le bâtiment où Lénine sous-louait un deux-pièces à Zurich est aujourd’hui occupé au rez-de-chaussée par un magasin de design proposant notamment des bustes du révolutionnaire.

Avant de trouver le moyen de rentrer en Russie, Vladimir Ilitch Oulianov mène une existence misérable, faite d’articles dans des revues obscures, de débats dans des cafés.

En 1917, en pleine Première Guerre mondiale, la Suisse neutre ressemble à une île de paix au cœur de l’Europe. À Zurich, sur les bords de la Limmat, la vie s’écoule tranquillement, loin des tranchées où des millions d’hommes se battent et meurent depuis plus de deux ans. Chaque jour, dans la salle de lecture de la Zentralbibliothek, un petit monsieur travaille, penché sur ses livres, prenant des notes d’une écriture fine avec ses crayons aussi soigneusement taillés que sa petite barbe rousse. Quand sonne midi au clocher de la Grossmünster, l’église protestante voisine, le petit monsieur remet son vieux chapeau sur son crâne chauve, enfile son pardessus élimé et rentre chez lui, ses grosses chaussures de montagne résonnant sur les pavés.

Personne ou presque ne connaît cet émigré russe à la silhouette trapue qui se rend tous les matins à la bibliothèque et en repart à heures fixes pour déjeuner. Chaque jour, il emprunte la Münstergasse, aujourd’hui pleine de terrasses et de magasins élégants, puis tourne dans la Spiegelgasse, une rue étroite qui grimpe entre les maisons dont les toits se touchent presque. Il passe devant le Cabaret Voltaire, où fut lancé en 1916 le mouvement dada, et monte dans la rue jusqu’au numéro 14, où un couple de cordonniers lui sous-loue un deux-pièces. Sur la façade, une plaque indique aujourd’hui le nom sous lequel le petit monsieur est devenu depuis mondialement célèbre: «Ici vécut, du 21 février 1916 au 2 avril 1917, Lénine, le chef de la Révolution russe». 


Lénine et le mythe du wagon plombé

La frontière entre la Suéde et la Finlande, gelée perdue dans les forêts de Laponie, est en 1917 un important point de passage pour les marchandises entre la Russie et ses alliés occidentaux 

Embarqué dans un train, Lénine rentre de son exil suisse à travers l’Allemagne en guerre. À bord, une ligne de craie blanche sur le sol sépare le territoire russe du sol allemand.

Avant même que le train ne devienne pendant la Seconde Guerre mondiale l’instrument de la déportation vers les camps d’extermination, le chemin de fer est l’un des outils majeurs de la Grande Guerre. Les armées immenses mobilisées en 1914 sont transportées par voie ferrée et le ravitaillement des fronts se fait par les réseaux ferroviaires qui sillonnent l’Europe.

La révolution russe de 1917 et la guerre civile qui va suivre sera elle aussi une affaire de trains. Avant le convoi blindé de Trotski et les grandes manœuvres ferroviaires entre «rouges» et «blancs» le long du Transsibérien, l’effondrement de l’empire des tsars s’est fait le long de voies ferrées. Les hésitations de Nicolas II avant son abdication, le 15 mars 1917, ont lieu sur des voies de garage où le train impérial est arrêté à son retour du front. Le retour de Lénine de son exil en Suisse donne naissance à une autre légende ferroviaire: celle du wagon scellé à bord duquel il traverse l’Allemagne.


Le retour glorieux de Lénine à Petrograd

Le retour de Lénine en Russie, à la gare de Finlande, à Petrograd, le 16 avril 1917

Lénine pensait être accusé de trahison par le gouvernement du prince Lvov. À sa grande surprise, il est acclamé par la foule sur les quais à son arrivée en gare de Finlande.

Lénine est un peu inquiet en arrivant à Petrograd dans la nuit du 16 avril 1917. Après avoir voyagé à travers l’Europe en guerre grâce à l’aide d’un gouvernement ennemi, il craint d’être arrêté pour trahison dès sa descente du train par le gouvernement provisoire dirigé par le prince Lvov, au pouvoir depuis l’abdication du tsar. Quand la locomotive arrive à la gare de Finlande à Petrograd, il découvre, stupéfait, que la foule qui l’attend est en fait venue l’acclamer. Le parti bolchevique a rassemblé des centaines de soldats et de militants pour célébrer le retour de son chef. Un orchestre joue La Marseillaise.

Lénine écarte les bouquets de fleurs et écourte les discours de bienvenue, mais à la sortie de la gare la foule se jette sur lui comme sur un héros. «Vladimir Ilitch… l’homme qui l’avant-veille encore logeait chez le cordonnier, est déjà saisi par cent mains et hissé sur un véhicule blindé, écrit Stefen Zweig dans Le Wagon plombé. Des projecteurs installés sur les maisons et sur la forteresse sont braqués sur lui, et c’est depuis l’automobile blindée qu’il tient son premier discours au monde. Les rues tremblent, bientôt commenceront les “dix jours qui ébranleront le monde”. Le projectile a atteint sa cible, il détruit un empire.» Le discours de Lénine n’a pas été entendu par grand monde, mais l’image de l’arrivée à la gare de Finlande est vite entrée dans la légende communiste.


Lénine et le coup d'État d'octobre 1917

L’affiche du film «Octobre. Dix jours qui ébranlèrent le monde», réalisé en 1927 par Sergueï Eisenstein

Lénine sort de sa cache à la dernière minute et arrive le soir du 24 octobre à l’institut Smolny. Méconnaissable, il doit se faufiler dans la cohue pour aller haranguer ses camarades.

Saint-Pétersbourg est une ville idéale pour une révolution. Ses vastes avenues rectilignes qui convergent vers le centre comme les rayons d’une roue, la perspective Nevski, la perspective Liteyni, la rue Shpalernaya sont presque une invitation aux mouvements de foule ; mais la topographie est aussi favorable à la contre-révolution: les ponts sur l’immense rivière Neva qui se lèvent pour laisser passer les navires peuvent servir à bloquer les déplacements d’une rive à l’autre ; les grandes artères se prêtent aussi aux déploiements de troupes, alors que les palais et sièges du pouvoir sont entourés de vastes esplanades qui forment autant de champs de tir.

La prise du pouvoir par Lénine en octobre 1917 s’est pourtant déroulée presque sans combats ni grands mouvements de troupes. «Peu d’événements historiques ont été aussi profondément déformés par le mythe que ceux du 25 octobre 1917», écrit Orlando Figes dans sa Révolution russe (Éditions Denoël). «La grande révolution socialiste d’octobre, comme on devait l’appeler dans la mythologie soviétique, fut en vérité un événement d’une si petite échelle - en fait rien de plus qu’un coup d’État militaire - qu’elle passa inaperçue aux yeux de l’immense majorité des habitants de Petrograd.» 




Le fantôme de Lénine embarrasse le pouvoir russe

La statue de Lénine figé dans sa posture favorite, le pouce dans l’emmanchure de son gilet, le bras tendu, devant la gare de Finlande, à Saint-Pétersbourg

Cent ans après la révolution d’Octobre, les dernières traces de Lénine à Saint-Pétersbourg sont des statues de bronze, des bureaux de bois et des lits de fer. Les lits et les bureaux sont généralement dans les mêmes pièces, puisque Lénine dormait le plus souvent sur son lieu de travail. Certains ne sont visibles que sur autorisation spéciale, comme la chambre de préceptrice de l’Institut Smolny, où Lénine s’installe après la révolution d’Octobre.

D’autres se trouvent dans des musées, comme l’appartement des Elizarov, où Lénine se cache pendant quelques semaines, ou bien dans l’ancien palais de la danseuse Matilda Kchessinskaïa, devenu quartier général des bolcheviques en avril 1917, aujourd’hui transformé en Musée de l’histoire politique de la Russie.

Les statues sont visibles un peu partout dans la ville. Figé dans sa posture favorite, le pouce dans l’emmanchure de son gilet, le bras tendu, Lénine est immédiatement reconnaissable: devant la gare de Finlande, lieu de son arrivée à Petrograd après le célèbre voyage en train, devant l’Institut Smolny ou bien devant le monumental Palais des Soviets, au croisement entre la perspective Lénine et l’avenue Moscovskaïa.

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