Attaque à la bonbonne de gaz: une vieille méthode et beaucoup de symboles
En France et plus récemment
en Espagne, les forces de l'ordre ont constaté la présence de
bouteilles de gaz sur des scènes d'attentat. À quoi servent-elles ?
Pourquoi ce mode opératoire et d'où vient-il ? Éléments de
réponse.
Le constat est dur mais
factuel: ces dernières années, de nombreux modes opératoires ont
été utilisés dans les attentats commis en Europe. On a vu des
attaques terroristes à
la voiture-bélier,
au
couteau ou encore à la ceinture
d'explosif mais, et fort heureusement, moins celle aux bonbonnes
de gaz. Pourtant, les enquêteurs ont eu plusieurs fois l'occasion de
relever la présence de ces engins sur des scènes d'attentats en
France. On peut notamment se souvenir de Yassin Salhi, qui
avait décapité son patron en Isère. Le jour de l'attentat, il
s'était rendu sur son lieu de travail avec son utilitaire rempli de
bouteilles de gaz et avait notamment foncé sur un hangar, stockant
lui-même des bonbonnes de gaz et d'acétone, ce qui avait provoqué
une explosion. Deux personnes avaient légèrement été blessées.
C'était en juin 2015.
Plus d'un an après, une
voiture contenant des bonbonnes de gaz et des bidons de gasoil est
découverte à Paris, près de la cathédrale Notre-Dame et de la
préfecture de Police. Ce qui ressemblait à une attaque à la
voiture piégée a tourné court. Dans cette Peugeot 607 laissée à
l'abandon et repérée un dimanche matin, les bonbonnes n'étaient
reliées à aucun détonateur, aucune chaîne pyrotechnique. En juin
dernier, un
homme ayant prêté allégeance au groupe terroriste État islamique
(EI) a foncé en voiture sur un fourgon de gendarmerie sur les
Champs-Élysées. Dans son véhicule, des armes et... des
bonbonnes de gaz. Enfin, plus récemment, dans l'enquête sur les
attaques de Barcelone et Cambrils, 120 bonbonnes de gaz et des
ingrédients pour confectionner du TATP
- un explosif artisanal utilisé par Daech - ont été découverts
à Alcanar, dans un laboratoire clandestin.
Un mode opératoire d'abord utilisé par Daech en zone irako-syrienne
Essayons de comprendre ce que
cela représente car ces différentes attaques soulèvent plusieurs
questions: pourquoi les auteurs ont-ils recours à ce mode
opératoire? Quel en est l'«intérêt»? D'où vient-il? D'après
Mathieu Guidère, professeur à l'université de Paris-VIII et auteur
de La Guerre des islamismes, cette méthode, dans l'histoire
récente, a d'abord été utilisée par l'État islamique en Irak et
en Syrie en 2013-2014,lorsque les djihadistes ne disposaient pas
encore d'artificiers professionnels ou d'explosifs pour fabriquer de
«vraies bombes». Ce mode opératoire, qui consistait à confiner
plusieurs bouteilles de gaz dans un véhicule avec un dispositif de
mise à feu, était destiné à commettre un maximum de dégâts
matériels. «Des ministères irakiens, des mairies et des casernes
ont été détruits comme ça», rappelle Mathieu Guidère. Depuis,
l'EI a essayé d'exporter ce mode opératoire en Europe. D'ailleurs,
on le retrouve dans la propagande djihadiste. «Dans les manuels
d'attentat ou sur des applications cryptées, les djihadistes s'y
échangent des conseils», détaille Jean-Charles Brisard, président
du Centre d'analyse du terrorisme.
Une méthode encore mal maîtrisée en Europe
Pour autant, les attaques
récentes à la bonbonne semblent avoir jusqu'ici échouée en
Europe. «Ils essaient de les faire éclater par incendie mais ce
n'est pas très efficace», constate un expert en explosifs qui
travaille pour la police. «C'est ce que j'appelle un mode opératoire
d'opportunité: ça peut marcher mais c'est sans garantie». «Pour
le moment, on a affaire à des amateurs», enchaîne l'universitaire
Mathieu Guidère. «Ce n'est pas parce qu'on enferme plusieurs
bonbonnes de gaz dans une voiture et qu'on jette une cigarette
allumée à l'intérieur que ça va exploser». «Disons que les
processus d'explosion nécessitent des connaissances techniques»,
commente, plus nuancé, Alain Bauer, professeur de criminologie au
Conservatoire national ses arts et métiers (CNAM). En effet, «ils
commettent souvent des erreurs techniques», observe l'expert en
explosifs. «Mais ils vont finir par y arriver», reprend Mathieu
Guidère.
Des dégâts matériels et symboliques avant tout
Finalement, quel intérêt
d'utiliser des bonbonnes de gaz comparé à d'autres modes
opératoires? La méthode reste facile d'accès, économique et
difficilement repérable, répondent plusieurs spécialistes. «Les
bonbonnes de gaz sont des produits de consommation courante dont
l'achat n'attire pas forcément l'attention», fait remarquer Samuel
Rémy, secrétaire général du Syndicat national des personnels de
police scientifique (SNPPS-Unsa). «Une bouteille gaz qui explose
forme une boule de feu. Ils veulent peut-être donner un côté
sensationnel à leur action», suppose l'expert en explosifs.
Autre explication possible:
utiliser les bonbonnes de gaz remplirait un objectif différent des
autres modes opératoires. Contrairement aux attaques à la
voiture-bélier ou à la kalachnikov, les bonbonnes de gaz seraient
surtout utilisées pour faire un maximum de «dégâts matériels et
symboliques», toujours selon Mathieu Guidère. «L'objectif est
davantage de détruire des bâtiments publics qui représentent le
pouvoir ou les forces de sécurité que de faire des victimes
civiles». En Espagne, les enquêteurs ont découvert que les
comploteurs de Barcelone et Cambrils prévoyaient de faire sauter un
ou plusieurs monuments.
Une très vieille méthode
L'utilisation de bouteille de
gaz dans les milieux terroristes est loin d'être nouvelle. Déjà
dans les années 1970, des engins explosifs confectionnés à partir
de bonbonne de gaz étaient utilisés pour commettre des attentats.
Le 2 juin 1976 par exemple, une bouteille de gaz piégée explosait
boulevard de Sébastopol à Paris et faisait 4 morts. Cinq ans plus
tard, à l'aéroport d'Orly-Sud, une valise, contenant un engin
explosif raccordé à trois bonbonnes de gaz, explosait et faisait 8
morts et plus d'une cinquantaine de blessés. L'attaque avait été
revendiquée par la branche syrienne de l'Armée secrète arménienne
de libération de l'Arménie (ASALA).
Puis dans les années 1990, le
Groupe islamique armé (GIA) les a aussi utilisées pour fabriquer
des bombes et semer la terreur en France. À cette époque, les
terroristes remplissaient les bonbonnes d'explosifs, d'écrous et de
clous pour faire un maximum de victimes. Ce fut notamment le cas le
25 juillet 1995 lors de l'attentat du RER B à Saint-Michel. Idem en
1996 lors d'un attentat à l'explosif dans une rame de la ligne B du
RER à la station Port-Royal.