Le procès de Maurice Papon
Croquis d'audience montrant Maurice Papon dans le box des accusés, le 14 octobre 1997 au palais de justice de Bordeaux, lors de son procès pour complicité de crimes contre l'humanité |
LES ARCHIVES DU FIGARO - Le 8
octobre 1997, Maurice Papon, ancien haut fonctionnaire de Vichy,
comparaît devant les assises de la Gironde pour crimes contre
l'humanité. C'est l'aboutissement d'une très longue procédure
judiciaire, plus de 50 ans après les faits.
16 ans d'instruction, un
dossier constitué de 30 volumes pour un procès d'exception. Le 8
octobre 1997 s'ouvre à Bordeaux, devant les assises de la Gironde,
le procès de Maurice
Papon, ancien haut fonctionnaire de Vichy. Secrétaire générale
de la préfecture de la Gironde de 1942 à 1944, il est accusé de
complicité de crimes contre l'humanité, pour «son rôle actif»
dans l'organisation de dix convois de déportation de Juifs -plus de
1 500 personnes, dont de nombreux enfants.
Le
procès qui fait débat au sein de la société, se passe dans
des conditions particulières, avec un dispositif de sécurité très
élevé: un box équipé de vitres pare-balles pour l'accusé
-protégé par les forces de police -trois compagnies de CRS
présentes à Bordeaux. Et dans un climat très tendu. Ambiance
également pesante à la prison de Draguignan, où le 7 octobre
Maurice Papon est arrivé accueilli par des cris: «À mort, à
mort.» provenant de l'intérieur et de l'extérieur de la prison. Ce
même jour, dans un communiqué, l'accusé dénonce un procès «où
les jeux sont faits d'avance et sans appel, où la vérité a été
falsifiée par la chambre d'accusation de Bordeaux» et précise que
«cette poursuite est une mascarade indigne d'un État de droit.» La
première journée d'audience est consacrée au tirage au sort des
neuf jurés ainsi qu'à la demande de remise en liberté de l'accusé,
demandée par la défense en raison de son âge -87 ans- et de son
état de santé.
À travers le procès de
Maurice Papon, c'est celui de la politique de Vichy et des exactions
de la collaboration qui est fait. Plus d'un demi-siècle après les
faits et à l'issue d'une longue instruction freinée au sommet de
l'État, sous François Mitterrand. Retrouvez le récit, paru dans Le
Figaro à l'époque, de cette procédure judiciaire de 16 ans qui
aboutit à l'inculpation de Maurice Papon, puis à sa condamnation à
10 ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre
l'humanité le 2 avril 1998.
Papon: épilogue d'un marathon judiciaire
«Nul doute, l'affaire est
politique!» L'avis émanait d'un expert, puisqu'il s'agissait de
François Mitterrand, président de la République. La scène se
déroulait à l'Élysée, le 13 janvier 1988. Une délégation de
l'association Résistance-Vérité-Souvenir composée de grands
résistants tels que Maurice Bourgès-Maunoury, Jacques Soustelle,
Gaston Cusin, Jean Morin, Charles Verny, avait demandé à être
reçue afin d'exposer au chef de l'État la nécessité de mettre un
terme aux procédures engagées à l'encontre de Maurice Papon pour
«complicité de crimes contre l'humanité».
«C'est
un règlement de comptes politique.»
François
Mitterrand.
Gaston Cusin, commissaire de
la République à la Libération, qui avait maintenu Papon dans ses
fonctions à Bordeaux, avait affirmé que ce dernier avait fait
l'objet d'une enquête extrêmement serrée de la commission
d'épuration et qu'aucun fait n'avait pu être relevé à son
encontre. Bourgès-Maunoury avait rappelé que le scandale, comme
par hasard, avait éclaté entre les deux tours de la présidentielle
de 1981, Soustelle insistant quant à lui sur la durée anormale de
l'instruction qui traînait depuis sept ans (elle en durera seize).
François Mitterrand avait suivi l'exposé avec une grande attention.
Puis, il avait affirmé sans ciller, mais sans qu'aucun de ses
interlocuteurs ne soit dupe, qu'il avait «personnellement peu suivi
cette affaire [qu'il] ne connaissai[t] Maurice Papon qu'à
travers ses fonctions administratives, qu'il [lui] était toujours
apparu comme un fonctionnaire de qualité et qu'il était bien
surprenant que l'on ait mis quarante ans à découvrir la prétendue
culpabilité d'un homme n'ayant cessé d'occuper des rôles exposés».
«Je ne peux pas intervenir
auprès du magistrat instructeur, avait confié le président en se
levant, du fait de la séparation des pouvoirs, mais j'en parlerai
au garde des Sceaux afin que celui-ci mette de l'ordre dans le
dossier.» L'intention de peser sur la procédure était
implicite et ses interlocuteurs sortirent rassérénés après que
Mitterrand eut réaffirmé: «C'est un règlement de comptes
politique.» François Mitterrand était évidemment fort bien placé
pour le savoir et pour connaître les tenants et aboutissants. Ne
serait-ce que par son ami et conseiller Roland Dumas, ancien
résistant, dont le fief électoral n'était pas loin de Bordeaux et
qui était l'avocat du Canard enchaîné, révélateur du
scandale. La manœuvre avait semblé aux observateurs destinée à
déstabiliser Valéry Giscard d'Estaing dont Papon avait été le
ministre du Budget dans le gouvernement Barre.
Michel Slitinsky, ancien
résistant, fils de déporté, arrive le 9 octobre 1997 au palais de justice de Bordeaux, partie civile dans le procès de Maurice Papon. |
C'est Michel Slitinsky qui
fut à l'origine de ces révélations-chocs. À 17 ans, il avait
échappé à la rafle d'octobre 42 et il avait depuis longtemps les
autorités policières et préfectorales de Bordeaux dans le
collimateur. D'autant qu'il les considérait comme des ennemis
politiques, Papon en premier, responsable à ses yeux de la mort de
militants communistes lors de la charge du métro Charonne. Mais ses
recherches tous azimuts seraient restées par trop brouillonnes sans
l'apport méthodologique de Michel Bergès, professeur et
politologue, qui s'intéressait aux dossiers des négociants en vin
bordelais sous l'Occupation. «C'est le fruit du hasard qui m'a
fait mettre la main sur des documents non inventoriés qui se
trouvaient dans des chemises rouge-orange», a affirmé Michel
Bergès.
Mais ce n'est nullement le
hasard qui a conduit Michel Slitinsky, correspondant occasionnel du
Canard enchaîné, à appeler la rédaction. «Le
Canard, a-t-il écrit dans une nouvelle mouture de son
ouvrage consacré à l'instruction, avait été mis par Papon sous
contrôle fiscal. J'ai eu l'idée de contacter le journal et de
lui faire parvenir quelques documents. On eut droit aux actualités
télévisées et à des flashes édifiants, l'affaire était sur les
rails.»
Le lendemain de cette mise en
cause, Serge Klarsfeld, au nom de l'association des Fils et filles
des déportés juifs de France devait publier un long communiqué:
«M. Papon, qui a joué un rôle pendant la guerre qui n'était
pas de premier plan mais qui était réel, en a fait plus que le
policier de base qui arrêtait les juifs ou le simple gendarme
qui escortait les convois. Je considère qu'il serait souhaitable de
la part de M. Papon de démissionner de son poste de ministre pour
marquer ainsi qu'il reconnaît les faits et la part de responsabilité
de Vichy et de son administration dans la Solution finale.»
«Un piège tendu», d'après
Maurice Papon, qui l'avait qualifié de grossier, préférant
remettre son sort entre les mains d'un «jury d'honneur» formé des
plus hautes personnalités de la Résistance.
Batailles incertaines
Le jury d'honneur, qui avait
examiné l'affaire scrupuleusement pendant six mois n'avait pas
donné, on le sait, toute satisfaction à Maurice Papon (nos éditions
du 3 octobre). S'il lui avait octroyé du bout des lèvres un brevet
de Résistance, il avait jugé en revanche que Maurice Papon avait eu
le tort «d'accepter de faire une distinction entre les juifs
français et les juifs étrangers», et reconnu «le caractère
regrettable de certaines pièces que, de sa propre initiative ou par
ordre, Papon avait dû signer».
Sur un point cependant,
Maurice Papon avait obtenu gain de cause. Tous les témoins entendus,
à charge et à décharge, à l'exception de Me Klarsfeld, avaient
estimé que des poursuites éventuelles contre les responsables
de la préfecture de Bordeaux, de mai 1942 à la Libération, pour
crimes contre l'humanité, «seraient parfaitement injustifiées».
Un
procès qui tient plus du débat d'historiens que de la confrontation
des témoignages, car les faits remontent maintenant à 55 ans.
La contre-attaque ne s'était
pas fait attendre. Des plaintes en rafale étaient déposées à
Bordeaux et deux ans plus tard, Maurice Papon se retrouvait inculpé.
Seize ans de batailles judiciaires toujours incertaines, où le
président Mitterrand avait agi comme un frein sans pour cela
interrompre la procédure, seize ans d'instruction jalonnés
d'incidents de parcours, de pourvois en cassation, d'annulations de
pièces, pour aboutir au procès fleuve de demain, prévu pour
s'étaler sur deux mois et demi, alors que le procès Pétain avait
duré trois semaines.