Peine de mort : le long chemin vers l’abolition
Le président socialiste François Mitterrand, qui avait promis lors de la campagne présidentielle d’abolir la peine de mort, charge le garde des Sceaux Robert Badinter, dont il est proche, de mener à bien cette mission.
Quatre mois après sa victoire, il obtient une large majorité à l’Assemblée nationale : le vote est acquis.
C’est l’aboutissement de près de 200 ans d’efforts des abolitionnistes, après de nombreuses tentatives.
La Révolution lance le débat
Au cours du débat sur l’élaboration d’un projet de code pénal est soutenu le premier projet d’abolition de la peine de mort en France. Le rapporteur Le Pelletier de Saint-Fargeau est soutenu par Robespierre. La Constituante rejette ce projet car la disparition du châtiment suprême n’est pas en 1789, une des revendications essentielles des cahiers de doléances présentés au Etats Généraux de Versailles. Elle décide toutefois de supprimer la torture : “La peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans qu’il ne puisse jamais être exercé aucune torture envers les condamnés” (loi du 6 octobre 1791 incluant le Code pénal).
Ce premier débat a le mérite d’établir les principaux arguments des deux camps : du coté abolitionniste, l’injustice et l’inefficacité de la peine («La peine de mort est essentiellement injuste, elle n’est pas la plus répressive des peines et multiplie les crimes beaucoup plus qu’elle ne les prévient» - Robespierre).
Son exemplarité et sa légitimité sont aussi remises en cause ; elle serait contraire aux droits de l’homme et incompatible avec une société civilisée (« Une société qui se fait également meurtrière n’enseigne-t-elle pas le meurtre ? » - Le représentant Adrien Dupont)
Du coté non abolitionniste, l’argument qui perdurera jusqu’en 1981 : il est urgent d’attendre, attendre que le contexte soit plus propice, que la sécurité soit rétablie et que les mentalités des citoyens aient suffisamment évolué.
La Constituante, qui fait pourtant de la défense des libertés et des droits de l’homme son principal combat et condamne cet héritage de l’ancien Régime, juge cette mesure terrible mais encore nécessaire.
1848 : des voix s'élèvent contre la peine de mort
Déjà en 1838, on observe des discussions et des pétitions abolitionnistes. Lamartine déclare ainsi que la peine de mort est devenue inutile et nuisible dans une société évoluée. Si sa parole ne rencontre pas d’écho dans une Assemblée majoritairement conservatrice, son discours sera relayé 10 ans plus tard par un des plus fervents abolitionnistes : Victor Hugo.
1906-1908 : les abolitionnistes frôlent la victoire
Ce positionnement de l’exécutif contre la peine de mort sera soutenu sur le plan parlementaire. En effet en 1906, la Commission du budget de la Chambre des députés vote la suppression des crédits destinés à l’entretien de la guillotine et à la rémunération du bourreau provoquant ainsi un débat législatif sur l’abolition de la peine de mort. La suppression des crédits sera finalement rejetée car les abolitionnistes ne souhaitaient pas obtenir l’abolition par des moyens détournés mais désiraient un vote solennel qui condamnerait fermement la peine de mort.
Le Petit Parisien, farouchement anti-abolitionniste, organise à l’automne un “référendum” sur la peine de mort. Il en publie les résultats le 5 novembre 1907 : sur 1.412.347 réponses recueillies, 1.083.655 se prononcent en faveur de son maintien, 328.692 pour son abolition.
En novembre 1906, le garde des Sceaux du gouvernement Clémenceau, Guyot-Dessaigne, présente un projet de loi visant à l’abolition pure et simple de la guillotine. Mais alors qu’il démissionne en décembre 1907, Aristide Briand, son successeur, décide de soumettre aux députés le 3 juillet 1908 un nouveau projet de loi prévoyant l’abolition de la peine capitale en y ajoutant son remplacement par une peine d’internement perpétuel afin de tenir compte de l’évolution de l’opinion et de convaincre les députés hésitants. Ce débat parlementaire sur la peine de mort est le premier où l’abolition de la peine de mort est réellement envisagée. En effet, soutenu par l’exécutif (le président Fallières et le Président du conseil Georges Clemenceau sont tous deux des abolitionnistes convaincus) et face à une assemblée majoritairement à gauche, les abolitionnistes sentent que le combat peut être gagné. Ainsi c’est également lors de ce débat passionné que les arguments des deux camps seront les plus aboutis.
Le vote de l’abolition en septembre 1981
Robert Badinter devient à 53 ans garde des Sceaux. Il l’annonce le 9 juillet. L’avant-projet est rédigé avec Michel Jéol, juriste. Badinter rejette d’emblée les réserves en temps de guerre, et les dispositions relatives à une « peine de substitution ». « Ce que je voulais, c’était accomplir le voeu formulé par Victor Hugo en 1848 : « L’abolition doit être pure, simple et définitive ».
C’est sur la terrasse de la maison de douanier en granit près de Lorient prêtée par Paul Guimard et Benoîte Groult que Robert Badinter écrit la première version de son discours. Au retour des vacances, Badinter présente son projet de loi sur l’abolition au Conseil des ministres, et le soir même au JT.
Les témoins des exécutions capitales racontent
Robert Badinter a assisté à la décapitation de Roger Bontems le 28 novembre 1972. Depuis l’avocat revit ce moment à chaque nouvelle plaidoirie. C’est un supplice à chaque fois recommencé. La peur de ne pas sauver la tête de son client plane en permanence, l’obsède.Car Robert Badinter croyait en sa défense : «Lorsque je me rassis, j’étais assuré d’avoir convaincu les esprits» se souvient-il. A l’annonce de la condamnation à mort de Bontems, Badinter s’adresse à lui : «Vous serez gracié. Ils ont reconnu que vous n’avez pas tué. Vous serez gracié. C’est sûr. Le président de la République vous graciera.»
«Je savais à présent que la justice pouvait tuer…J’avais été incapable de l’empêcher...Je savais à présent ce qu’était la réalité de la peine de mort ? Jusque-là j’avais été un partisan de l’abolition. Dorénavant j’étais un adversaire irréductible de la peine de mort. J’étais passé de la conviction intellectuelle à la passion militante.»
Cinq ans plus tard, en janvier 1977, appelé par l’avocat Henri Bocquillon qui assure la défense de Patrick Henry, kidnappeur et assassin du petit Philippe Bertrand, Robert Badinter se charge de la plaidoirie. Lorsque Patrick Henry échappe à la condamnation à mort le 20 janvier 1977, Robert Badinter écrit : «Je ressentais moins de contentement que d’apaisement. Comme si l’affaire Bontems s’était achevée vraiment ce soir-là. Mais Bontems qui n’avait pas tué, avait été guillotiné. Patrick Henry lui, avait sauvé sa tête. Plus que jamais je combattais cette loterie sanglante.»
Juste après l’exécution, la doyenne des juges d’instruction de la ville, Monique Mabelly, commise d’office pour y assister, témoigne : « Tout le long du parcours, des couvertures brunes sont étalées sur le sol pour étouffer le bruit des pas. […] Personne ne parle. C’est à ce moment que je vois qu’il commence vraiment à réaliser que c’est fini – qu’il ne peut plus échapper –, que c’est là que sa vie, que les instants qui lui restent à vivre dureront tant que durera cette cigarette. […] Tout va très vite. Le corps est presque jeté à plat ventre mais, à ce moment-là, je me tourne, non par crainte de “flancher”, mais par une sorte de pudeur (je ne trouve pas d’autre mot) instinctive, viscérale. J’entends un bruit sourd. Je me retourne – du sang, beaucoup de sang, du sang très rouge –, le corps a basculé dans le panier. En une seconde, une vie a été tranchée. »
« L’homme qui parlait, moins d’une minute plus tôt, n’est plus qu’un pyjama bleu dans un panier. Un gardien prend un tuyau d’arrosage. Il faut vite effacer les traces du crime… J’ai une sorte de nausée, que je contrôle. J’ai en moi une révolte froide. »
Extraits publiés dans Le Monde du 9 octobre 2013
Le 17 septembre, les débats débutent
Raymond Forni, un des plus fervents militants abolitionnistes français est un pur produit de la méritocratie républicaine. Fils d’immigrés italien naturalisé français à 17 ans, il devient à 32 ans député PS du territoire de Belfort. Tout comme Robert Badinter il fut un avocat engagé, grand défenseur des libertés individuelles. En 1981 il est président de la commission des lois et rapporteur de la loi. Il poursuivra ce combat notamment en tant que président de l’Assemblée nationale (2000 à 2002) en militant pour l’abolition universelle des peines capitales.
On oublie tout, Badinter plonge l’auditoire dans une gravité, une solennité de plomb.
« J’ai l’honneur au nom du gouvernement de la République de demander à l’Assemblée nationale d’abolir la peine de mort en France ».
Ce discours, Badinter le décrit ainsi : « Ce n’était pas un discours ministériel, tant s’en faut. Ce n’était pas non plus une plaidoirie, comme beaucoup le dirent qui ne m’avaient jamais entendu plaider. C’était pour moi une sorte d’ultime appel, au-delà de l’hémicycle, à libérer notre Justice de l’emprise de la mort. »
Olivier Pognon, qui a suivi les débats pour Le Figaro nous raconte :
Play
Current Time 0:00
/
Duration Time 0:00
Remaining Time -0:00
Stream TypeLIVE
Loaded: 0%
Progress: 0%
00:00
Fullscreen
00:00
Mute
Playback Rate
1
Subtitles
- subtitles off
Chapters
- Chapters
No compatible source was found for this video.
Une première : un débat parlementaire retransmis intégralement en direct à la télé
Les trois chaînes ont suivi les débats : TF1 en direct le 17 septembre, Antenne 2 lui consacre une édition spéciale de son journal de 20 heures et FR3 le diffuse intégralement, le 17et le 18.
Mais le vote pour l’abolition est assuré, aucun doute, pas de suspens.
Les arguments
Ceux des abolitionnistes
- La peine de mort est un acte inhumain, barbare
- La France est l’une des dernières démocraties à ne pas l’avoir abolie
- Toutes les instances religieuses se prononcent contre la peine de mort
- La justice n’est pas infaillible, l’erreur judiciaire est fatale
- La peine est inutile, l’exemplarité est un leurre
Ceux des opposants à l’abolition
- Les sondages montrent que les Français y sont opposés :
Add
- Il faut d’abord modifier le Code pénal et trouver une peine de substitution
- Elle est une garantie contre la récidive, trop de graciés ont récidivé
- Elle a valeur d’exemplarité et dissuade les criminels
- Elle évite que les Français se fassent justice eux-mêmes
Les 5 dernières tentatives de rétablissement de la peine de mort
8 avril 2004 : Proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort pour les auteurs d’actes de terrorisme Richard Dell’Agnola et 54 députés.
12 juin 2001 : Proposition de loi visant à rétablir la peine capitale pour les assassins de représentants des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions par Lionnel Luca.
6 novembre 1995 : Proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort pour les auteurs d’actes de terrorisme par Pierre Micaux.
7 décembre 1993 : Proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort dans trois cas déterminés par Yann Piat (sans défense du fait de leur jeunesse, vieillesse, ou handicap).
20 octobre 1993 : Proposition de loi tendant à instaurer quatre cas d’exception à la loi du 9 octobre 1981 abolissant la peine de mort par Roland Nungesser (rapt d’enfant ou prise d’otage, torture, récidive, ou meurtre contre les forces de l’ordre).
Les députés, conscients que la peine de peine allait quoiqu’il arrive être abolie, cherchent à en limiter les effets. Ils déposent des amendements qui permettent d’enrichir les débats. Demander à ce que la question soit posée aux Français par référendum, conserver la peine de mort pour certains crimes : assassinat de policiers, de personnes âgées, d’enfants, d’handicapés, d’otages, d’assassinat avec tortures et de récidives, en limiter la durée limitée de 3 ou de 5 ans, ou commuer la peine en une réclusion criminelle à perpétuité sans aucune réduction de peine possible.
La peine de mort abolie
L’article 1er « La peine de mort est abolie » est adopté par 369 voix contre 113.
Les autres articles adoptés, la loi est adoptée par 363 voix, 117 contre.
Robert Badinter raconte : « Elisabeth et François Binet me rejoignirent dans le vestibule. Nous sortîmes par les jardins du Luxembourg. Il faisait doux. C’était une belle soirée de septembre ».
Le saviez-vous ?
Jusqu’au Code pénal de 1791 et l’adoption de la guillotine « tout condamné aura la tête tranchée », plusieurs modes d’exécution furent employés : précipité d’une falaise, crucifixion, pendaison, décapitation à l’épée, bûcher, écartèlement, fusillé.
2 mai 1939 André Vittel (17 ans au moment des faits) pour le double meurtre de sa belle-sœur et de son neveu est le plus jeune exécuté.
24 juin 1939 après le scandale de l’exécution photographiée et filmée d’Eugène Weidmann le 16 juin 1939 à Versailles, un décret interdit la publicité des exécutions capitales.
21 avril 1949 la dernière femme exécutée en France est Germaine Godefroy pour le meurtre de son mari.
10 septembre 1977 à Marseille : le dernier guillotiné en France est Hamida Djandoubi, condamné pour meurtre après tortures et viol.
25 mai 1981 Philippe Maurice, le dernier condamné à mort français, est gracié par le président de la République François Mitterrand.
Les déclarations de Robert Badinter sont extraites de ses livres :
L’exécution, 1973L’Abolition, 2000
Contre la peine de mort, 2006
Pour aller plus loin :
Des délits et des peines, Cesare Beccaria, 1764Le dernier jour d’un condamné, Victor Hugo, 1829
Claude Gueux, Victor Hugo, 1834
L’étranger, Albert Camus, 1942
L’histoire de la peine de mort (Assemblée nationale)
L’abolition de la peine de mort (La Documentation française).
Auteurs : Sophie Guerrier et Maxime Fourmaintraux
Vidéo : Sacha Benitah
Infographies : Service infographie du Figaro
Réalisation : Adrien Guilloteau