12 avril 1965: À la sortie de la mairie, Sylvie Vartan est devenue Madame Smet |
Jusqu'à tout à l'heure, je n'imaginais pas le nombre de journalistes qui -votre serviteur y compris- peuvent inclure le mariage des autres dans leur petite spécialité. Nous étions près de 200 à Loconville. Et ce n'est pas la passion des chiffres qui me pousse à vous donner cette précision, mais le réconfort moral qu'elle implique: la presse n'est donc pas friande que de scandales puisqu'elle s'intéresse, le cas échéant, au plus doux des sacrements. Vous me direz que les héros de la cérémonie ont longtemps stagné dans d'autres rubriques. Je sais. Si on les a vus sauter allègrement des faits divers au courrier des spectacles en passant par la chronique judiciaire, c'est qu'ils piétinaient un peu d'impatience dans l'antichambre de la légalité.
Ce n'est peut-être pas le mariage du siècle, mais c'est le mariage d'une génération et le signe qu'on a beau vilipender le bourgeois, moquer les parents, crier «haro» sur les quadragénaires, on finit toujours par faire comme eux.
C'était une bonne idée que de fuir Paris en cette circonstance. Les photographes n'ont pas si souvent l'occasion d'aller respirer l'air de la campagne. La première partie des réjouissances fut fort digne: le maire de la localité distribua des coupe-file sur présentation de différents documents d'état civil, dans la grande tradition des voyages officiels. Après quoi, ceux qui n'avaient pas été admis dans le saint des saints (la minuscule salle de la mairie) commencèrent à user de subterfuges variés. L'un escalada le bâtiment par la gouttière, l'autre découpa une vitre et entra par la fenêtre, un troisième juché sur le toit, se ménagea une plongée de choix en retirant quelques tuiles.
Entourés de gendarmes, les fiancés firent enfin leur apparition. Elle, ravissante sous une cornette blanche, lui, très sérieux, en veston noir bordé, et toute la noce derrière, drainant, pêle-mêle, les demoiselles d'honneur, les gendarmes et la petite mafia des variétés.
Sylvie Vartan était ravissante sous une cornette blanche |
Quand tout le monde fut là, on s'aperçut que le maire n'avait plus la place de gagner son bureau. Il fallut dégager «manu militari» le minuscule espace indispensable à la lecture du code civil. En même temps que le magistrat municipal, une quinzaine de micros accueillirent les deux «oui» indispensables. Suivit une petite allocution où le maire, saluant la présence de deux administrés aussi notoires, les félicita d'avoir su trouver un havre de calme et de tranquillité. Ce qui déchaîna chez tout le monde une bonne pinte d'hilarité.
La sortie de la mairie étant bloquée par la populace en liesse, on dut gagner l'église située de l'autre côté de la rue par des chemins détournés. On mit ainsi un (mauvais) quart d'heure pour aller d'un bâtiment à l'autre. L'entrée du cortège fut houleuse. Pendant plusieurs minutes, on se battit proprement. Les sbires du couple faisaient le coup de poing, les gendarmes ce qu'ils pouvaient et les photographes des photos. Ce qui prouve bien que chacun était à sa place.
VIDÉO -INA - «Mr et Mme Smet ont mis presque vingt minutes pour regagner leur voiture: Sylvie a failli mourir étouffée et Johnny a failli perdre son calme»:
Lorsque le cortège pénétra dans l'église, malheureusement plus exiguë que l'Olympia, il avait perdu un peu de sa dignité: on avait égaré le papa Vartan, la mariée pleurait, les témoins étaient échevelés et M. Jean-Philippe Léo Smet, militaire de son état, regardait avec consternation ses chaussures neuves couvertes de boue. On s'arcbouta au lourd vantail pour empêcher des commandos de mécontents de troubler la cérémonie. Les petites filles de la chorale entonnèrent quelques cantates pas du tout yéyé, tandis que dans son sermon le brave curé empiétait courageusement sur la critique des variétés.
- Souvent les jeunes s'expriment mal, dit-il en regardant ses deux nouveaux paroissiens dans les yeux, mais ils ont besoin de s'exprimer.
Après l'échange des anneaux, on passa aux congratulations. On félicita Johnny, on félicita Sylvie, on félicita les parents, on félicita toute la famille. Un peu à l'écart l'imprésario Johnny Stark se félicitait tout seul de son flair. M. Bruno Coquatrix souhaita à M. et Mme Smet beaucoup de petits galas. Et l'on ressortit avec la plus grande peine, offrant à un village de l'Oise et à la presse internationale réunis le curieux spectacle de la grande fête du cheveu: imaginez les Beatles multipliés par vingt, des bouclettes un peu partout, des favoris énormes comme ne les portent plus que les maîtres d'hôtel à côtelettes dans les pièces de Feydeau. On montera peut-être un snack pour touristes à Loconville dans les jours prochains, mais sûrement pas un second salon de coiffure. Il y a maintenant trop d'artistes dans la région pour cela. La noce se retrouve au manoir de la jeune épousée. Au dessert, il y eut des chansons. On ne répète jamais assez…