dilluns, 25 de desembre del 2017

Einstein en 1921

«On me reproche sans doute d'être juif, et d'introduire un esprit novateur»

Albert Einstein en 1930 avec sa seconde femme

LES ARCHIVES DU FIGARO - Le 10 décembre 1922, Albert Einstein reçoit le prix Nobel de physique. L'occasion de découvrir un long entretien paru dans nos colonnes. Albert Einstein y évoque son enfance, sa théorie sur la relativité, ses recherches et son antimilitarisme.
En 1921, le journaliste Raymond Recouly fait une enquête en Allemagne où il rencontre Albert Einstein. La conversation présentée ci-dessous est faite de questions réponses entre le journaliste et le savant; elle est entrecoupée de longues observations personnelles du journaliste. Afin de rendre plus aisée la lecture de l'interview, nous nous sommes autorisés quelques ajouts dans le texte.
Article paru dans Le Figaro du 13 octobre 1921.
Raymond Recouly - Voulez-vous me permettre, lui dis-je, une question préalable et pour moi, comme d'ailleurs pour beaucoup d'autres, essentielle? Est-il indispensable, pour comprendre vos théories, de posséder une haute culture mathématique? C'est l'avis de mon cher maître Bergson, qui m'apprit autrefois au lycée Henri IV le peu de philosophie que je sais.
Einstein se recueille un instant. Puis, de sa voix posée, avec un regard tranquille, il me répond «Non.»
Albert Einstein - Pour aller jusqu'au fond de ma pensée, la connaissance des mathématiques supérieures s'impose évidemment. Tout finit par des calculs difficiles, par des équations compliquées. Comment les suivre si l'on n'est pas un bon mathématicien? Mais on peut très bien, sans se noyer dans ces calculs, avoir une idée suffisamment claire des notions sur lesquelles je m'appuie. Il suffit de bien connaître les principes fondamentaux de la physique et de la mécanique, les lois de la pesanteur, de la gravitation universelle, etc. Il faut en être pénétré, les porter en soi.
Le journaliste dresse alors un portrait du célèbre physicien.
…Un homme vigoureux et solide, plutôt massif, d'assez forte corpulence. Il a quarante-deux ans, mais il n'en paraît pas loin de cinquante. Une tête puissante, le front très large et très découvert les cheveux abondants, redressés en coup de brosse, ramenés légèrement en arrière. L'aspect celui est d'un artiste, d'un musicien de génie plutôt que d'un philosophe ou d'un savant. Einstein, d'ailleurs, a une véritable passion pour la musique, qu'il a apprise lui-même sans professeur. Il joue fort bien du piano et du violon. Ses dieux préférés sont Mozart et Bach. L'impression dominante est celle d'une prodigieuse force intellectuelle, tranquille, confiante et sûre d'elle-même.
Albert Einstein, d'origine juive, est né à Ulm, le 14 mars 1879. Presque aussitôt après sa naissance, ses parents l'emmenèrent à Munich, où son père prit, la direction d'une usine électrique. Sa famille, très aisée, habitait une jolie demeure entourée d'un vaste jardin. Son père était un homme instruit, cultivé, sa mère une femme énergique et souriante. C'est dans ce milieu très heureux que s'écoulèrent ses premiers ans.

Albert Einstein et sa premiere épouse Mileva Maric, mathématicienne serbe


L'antimilitarisme d'Einstein

Raymond Recouly - Pourquoi, ai-je demandé à Einstein quand il me racontait sa jeunesse, vous êtes-vous ainsi attaché à la Suisse? Pourquoi n'avez-vous pas continué vos études en Allemagne?

Albert Einstein - Mes fonctions à Berne, me dit-il, me laissaient beaucoup de loisir. À la suite de mes premières publications sur la relativité, j'acceptai un poste de professeur à l'École polytechnique de Zurich où je revins après une courte absence à l'Université de Prague. Au printemps 1914, un peu avant la guerre, l'Académie des sciences de Berlin m'offrit une chaire de physique, et la direction de l'Institut Empereur Guillaume.
J'ai posé comme condition que je garderais toute ma liberté d'opinion et resterais citoyen suisse.
Raymond Recouly - Comment, dis-je à Einstein, êtes-vous arrivé à vos premières découvertes? Qu'est-ce qui vous a amené aux théories de la relativité, celle de l'espace et celle du temps?
Albert Einstein - Dès ma première jeunesse, me dit-il, j'avais été vivement frappé des contradictions inexplicables que présente la mécanique classique, en ce qui concerne le mouvement de l'éther et la propagation des ondes lumineuses. Il y a là quelque chose de mystérieux et d'obscur, je ne sais quelle antinomie angoissante qui défie les observations et le raisonnement.
Certaines expériences, vous le savez, établissent que l'éther, c'est-à-dire l'espace interplanétaire où se propage la lumière, est entraîné par la terre dans son mouvement. D'autres expériences prouvent au contraire qu'il ne l'est pas. La vitesse d'un rayon lumineux, 300.000 kilomètres par seconde, devrait s'augmenter de la vitesse du mouvement terrestre quand on le projette dans le même sens que ce mouvement. Or, une fameuse expérience faite dans des conditions d'ingéniosité et de précision aussi grandes que possible, montre que cette vitesse reste constante, quel que soit le sens dans lequel le rayon est émis. De même les lois de la mécanique classique ne s'appliquent pas aux phénomènes électromagnétiques.
Raymond Recouly - Comment sortir de toutes ces contradictions?
Albert Einstein - Vous pensez bien, me dit Einstein, que les savants ne m'ont pas attendu pour essayer de les résoudre. Ils ont fait ce que nous faisons tous en pareil cas des hypothèses. C'est le cas de Fitzgerald et de Lorentz avec leur théorie de la contraction. Mais leur explication m'a toujours semblé des plus arbitraires. Par surcroît, elle n'explique pas tout. C'est pourquoi j'en ai imaginé une autre, beaucoup plus vraisemblable, me semble-t-il, et aussi beaucoup plus générale, englobant jusqu'à présent la totalité des phénomènes, parvenant à les faire entrer dans un système qui se tient. 

Albert Einstein et Hendrick Antoon Lorentz en 1921.

Albert Einstein - Figurez-vous, me dit Einstein que certains ont essayé de mêler à leurs discussions, leurs querelles politiques, mes recherches scientifiques. C'est vraiment les faire descendre bien bas. J'ai été violemment critiqué, et même injurié. On me reproche sans doute d'être juif, d'introduire un esprit novateur qui choque les opinions reçues et démolit les vieilles théories, d'avoir tenu à demeurer citoyen suisse, peut-être aussi d'avoir gardé pendant la guerre une attitude dont je suis on ne peut plus fier.

Einstein a trop de tact pour m'en dire plus long-là-dessus. Mais je n'hésite pas à être moins discret que lui. On sait qu'au commencement des hostilités, Einstein non seulement, refusa de mettre son nom au bas du manifeste des quatre-vingt-treize intellectuels allemands, mais il signa, comme, le professeur Nicolaï, une déclaration en sens contraire. Un tel acte de bonne foi et de courage lui valut la haine des réactionnaires et des militaristes. On a essayé, à diverses reprises, d'organiser des manifestations tapageuses à ses cours.

Un homme de cette valeur est bien au-dessus, on peut, le croire, de sottises et de vilenies de ce genre. Il les regarde de très haut. Il y attache exactement l'importance qu'elles méritent, c'est-à-dire aucune.

Renouer au plus vite entre les peuples


Raymond Recouly - Comme je lui demandais dans quel sens, selon lui, évoluerait l'Allemagne d'après-guerre.

Albert Einstein - Je crois, me répondit- il, que ce sera finalement dans le sens de la démocratie, mais, après un certain nombre d'oscillations.

II me parla, pour finir, de l'immense avantage qu'il y aurait à renouer au plus vite entre les peuples, surtout entre l'Allemagne et la France, les relations intellectuelles, scientifiques, que la guerre et l'après-guerre ont interrompues.
II est difficile, à cet égard, pour tout homme de réflexion de ne pas partager son opinion. Puisque nous sommes en paix, et que, il faut ardemment le souhaiter, nous y resterons.
Longtemps, sinon toujours, il est bien évident que les savants, les physiciens, les chimistes, les médecins des deux pays, sans parler des autres, sont obligés d'avoir des rapports suivis et de se tenir au courant de leurs travaux.
Durant quelque vingt ans de journalisme actif, et si j'ose dire, itinérant, je me suis trouvé en contact avec la plupart des hommes les plus marquants de notre temps, souverains, hommes d'États et hommes de guerre, artistes, écrivains, financiers, etc., etc.
Je n'en ai rencontré aucun qui m'ait donné, au même degré qu'Einstein, l'impression de la puissance intellectuelle, de la force cérébrale. Et comme l'homme ne vaut que par elle, s'il est quelqu'un qu'il faille, dans cette hiérarchie de talent, et de génie, placer tout en haut de l'échelle c'est lui.

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