Une mauvaise connexion entre un GPS et un ordinateur du laboratoire Gran Sasso (ci-dessus), en Italie, pourrait expliquer les premiers résultats |
L'expérience qui a montré que ces particules voyagent plus vite que la lumière va être refaite.
Au mois de septembre dernier, des physiciens lançaient une bombe remettant en cause la théorie de la relativité restreinte d'Einstein, selon laquelle la vitesse de la lumière est une limite infranchissable. Leur expérience montrait que des particules minuscules, les neutrinos, violaient cette loi, provoquant un émoi considérable dans la communauté scientifique.Mercredi soir, la revue Science annonçait un peu trop vite sur son site Internet que ces résultats révolutionnaires étaient faussés par «une erreur» due à «une mauvaise connexion entre un GPS et un ordinateur».
Stavros Katsanevas |
Les neutrinos n'ont peut-être pas dit leur dernier mot. Pour le Pr Stavros Katsanevas, directeur scientifique adjoint de l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3/CNRS), la présentation faite par Science«est beaucoup trop réductrice». «Dans notre métier le temps de travail est long. Il faut de la patience et ne pas céder à la précipitation , confie au Figaro, le physicien Dario Autiero, qui a réalisé avec ses collègues de l'École normale supérieure de Lyon cette expérience iconoclaste dans le cadre de la collaboration internationale Opera.
Un parcours de 731 kilomètres
Lorsque l'expérience démarre il y a trois ans, ce chercheur expérimenté est loin d'imaginer que «ses» neutrinos, des particules ultralégères quasiment insaisissables, allaient atteindre des vitesses supraluminiques et ébranler la statue du grand Einstein.
Le but initial de ce travail consistait en effet à «étudier les rares transformations des neutrinos du muon en neutrinos du tau»: un thème a priori réservé aux initiés… Pour cela, l'équipe de Dario Autiero a fait «voyager» un faisceau de neutrinos produits par l'accélérateur du Cern, près de Genève, vers le détecteur Opera, enterré sous la montagne du Gran Sasso, dans les Apennins, au centre de l'Italie. Normalement, les neutrinos devaient parcourir les 731 kilomètres qui séparent les deux installations en 2,5 millièmes de seconde. Un temps de trajet qui correspond à la vitesse de la lumière à laquelle ils sont censés se déplacer.
Mais au grand étonnement de Dario Autiero et de ses collègues, ces neutrinos particulièrement véloces ont atteint leur cible avec, en moyenne, 60 nanosecondes (60 milliardièmes de seconde) d'avance sur la lumière. Un décalage infinitésimal mais qui chamboule tout. «Si c'est vrai, c'est une véritable bombe pour la physique, c'est une découverte comme il en arrive tous les siècles», déclarait Thibault Damour, l'un des grands spécialistes d'Einstein, dans les colonnes du Figaroen apprenant la nouvelle.
Depuis, les chercheurs de la collaboration Opera ont entamé de minutieuses vérifications pour traquer l'éventuel artefact, l'erreur de calcul ou l'anomalie qui pourraient expliquer cet écart aussi surprenant que dérangeant. Résultat: «Ils ont trouvé non pas un mais deux problèmes, dont ils ont immédiatement informé le Cern pour demander de refaire leur expérience», explique Stavros Katsanevas.
Cern et au Gran Sasso |
Défaut de connexion
Comme beaucoup de physiciens l'avaient suggéré, ces deux anomalies sont liées aux signaux GPS qui permettent de synchroniser les horloges atomiques placées à chaque extrémité du trajet des neutrinos, au Cern et au Gran Sasso. D'un côté, ces horloges étaient en avance par rapport à leur fréquence optimale, générant une avance de 10 à 30 nanosecondes sur le temps effectivement mesuré. De l'autre, un défaut de connexion entre le GPS situé à huit kilomètres à l'extérieur de la caverne du Gran Sasso et les fibres optiques qui transmettent le signal temporel à l'horloge atomique d'Opera, via un ordinateur, a été détecté. La quantité de lumière détectée étant plus faible, cette anomalie a pu provoquer, à l'inverse, un retard significatif sur la mesure des temps de trajet des neutrinos. «D'un point de vue qualitatif, les deux effets se compensent mais nous ne savons pas ce qu'il en est quantitativement», explique Dario Autiero.
D'où l'intérêt de procéder, sans attendre, à de nouvelles mesures. La production de neutrinos par le Cern devant redémarrer à partir du 23 mars, les chercheurs de la collaboration Opera ont demandé la possibilité de refaire leur expérience dès la réouverture. «Si notre requête est acceptée, nous pourrions avoir les premiers résultats en avril, sachant que la prise de données s'étalera jusqu'en novembre», précise M. Autiero. La réponse devrait être connue ces jours-ci.
Parallèlement, une autre équipe internationale de physiciens, la collaboration Minos, s'apprête à mener, de manière totalement indépendante, une expérience similaire avec des neutrons produits par le Fermilab, près de Chicago, et envoyés sur une cible enfouie dans une ancienne mine du Minnesota, distante, là aussi, d'environ 700 km. Les résultats devraient être connus dans le courant de l'année. Ce n'est qu'à partir de là que l'on saura si l'expérience du Gran Sasso était faussée ou non. Et si Einstein a du souci à se faire…