dijous, 15 de febrer del 2018

Obsolescence programmée : il est temps d’en finir avec le complotisme

Depuis le BatteryGate qui a plongé Apple dans la tourmente, l'obsolescence programmée redevient l'ennemi public numéro un des rubriques conso. Pour des raisons souvent approximatives.


Saviez-vous que le concept d’"obsolescence programmée" datait de 1932 ? C’est un agent immobilier américain, Bernard London, qui l’écrivit pour la première fois dans le titre d’un chapitre de son livre "The New Prosperity", à propos des habitudes de consommation frileuses des Américains durant la Grande Dépression. London avait constaté qu’en cette période économique difficile, les citoyens ne se débarrassaient plus de leurs biens avant que ceux-ci ne soient usagés, contrairement à ce qu’ils avaient pu faire durant des années auparavant.
Ce fameux chapitre résumait à lui l’un seul l’une des stratégies de London pour sortir de cette période de débâcle : "Mettre fin à la crise au moyen de l’obsolescence programmée." Autrement dit, imposer une durée de vie aux produits afin de relancer la consommation. C’est tout de même ironique : l’obsolescence programmée fut, originellement, pensée pour panser les plaies d’une société ruinée (en schématisant un peu).
Malheureusement, le BatteryGate d’Apple n’a fait que multiplier les raccourcis et les clichés
Si dès 1962, le concept commence à être vu d’un mauvais œil par le sociologue Vance Packard, dans son ouvrage "L’art du gaspillage", ce n’est que près de 50 ans plus tard que le grand public français le découvre ; à travers le documentaire "Prêt à jeter" d’abord, diffusé sur Arte en 2011, puis dans l’émission Cash Investigation, qui lui consacre un numéro l’année suivante. Mais puisque nous savons qu’un sujet de niche n’atteint jamais le petit écran sans grosses ficelles, l’obsolescence programmée se retrouve rapidement réduite à l’un de ses aspects les plus sulfureux : les industriels ont mis en place des systèmes de sabotage de leurs propres produits afin que l’on soit forcé d’en racheter de nouveaux. C’est très vilain, mais c’est aussi tout à fait exagéré. Et malheureusement, la récente "affaire des iPhone ralentis", ou BatteryGate, d’Apple n’a fait que multiplier les raccourcis et les clichés.
D’ailleurs, rarement la défiance entre clients et grands industriels de l’électronique n’aura été aussi palpable que depuis l’éclatement des affaires des cartouches d’encre d’Epson et des téléphones bridés d’Apple. Il faut dire qu’une petite association, née il y a à peine trois ans, a grandement contribué ces dernières semaines à ce que l’on sorte les fourches et les torches. Elle s’appelle Halte à l’obsolescence programmée (Hop) et elle a décidé d’utiliser les grands moyens pour qu’enfin, ces satanées multinationales arrêtent de se foutre de nous : porter plainte contre Epson et Apple pour "obsolescence programmée" et "tromperie".
Depuis 2015, le droit français comporte en effet un délit "d’obsolescence programmée". Un cas unique au monde. Créé par la loi sur la transition énergétique, il a pour but de sanctionner les entreprises tentées de "réduire délibérément la durée de vie de leurs produits pour en augmenter le taux de remplacement". Avant Hop, jamais personne n’avait encore lancé une action sur le fondement de ces dispositions.

La tentation du complotisme

Contrairement à ce que l’on a pu entendre ces derniers jours, Apple n’a jamais reconnu pratiquer l’obsolescence programmée, ni dans cette affaire d’iPhone ralentis, ni avant. Au risque de nous répéter, l’entreprise a seulement admis avoir bridé les processeurs de certains de ses iPhone afin d’éviter qu’ils ne s’éteignent brutalement après une certaine usure de leur batterie. Si la pratique est plutôt judicieuse, Apple aurait eu fort à gagner à nous en informer avant que des internautes ne le fassent pour elle. Ça lui aurait évité l’ouverture d’enquêtes en France, aux États-Unis et en Israël, par exemple.
Ensuite, il serait naïf de croire que les grandes entreprises manipulent l’architecture interne de leurs produits pour qu’ils tombent en panne après un nombre prédéfini d’usages. Si des magouilles du type ont bien été prouvées, on n’en recense d’ailleurs que deux dans l’histoire : celle du cartel Phœbus, un oligopole composé de Philips, Osram et General Electric, mis en place en 1924 pour mieux contrôler la vente des ampoules électriques et qui avait limité leur durée de vie à 1 000 heures ; celle des bas de nylon de Dupont de Nemours, dont la composition avait été changée en 1940 afin de les rendre plus fragiles.

Une publicité des années 1950 pour des ampoules "garanties 1 000 heures".
"Aujourd’hui, une entreprise prendrait un risque inimaginable pour sa réputation à faire une chose pareille", explique Thierry Libaert, conseiller au Comité économique et social européen et auteur de "Déprogrammer l’obsolescence". Une étude réalisée par l'Université de Bonn en 2013, en partenariat avec l'Agence fédérale pour l’environnement, sur une douzaine d'appareils électroménagers, n’a d’ailleurs pas pu prouver de "stratégie de vulnérabilité délibérée". En réalité, à ce jour, aucune donnée scientifique ne vient attester de l’existence de telles pratiques industrielles. 

"Obsolescence programmée", un mot-valise

Évidemment, il n’est en aucun cas question de nier l’existence de l’obsolescence programmée. Cela reviendrait d’ailleurs à affirmer que le délit d’obsolescence programmée est un non-sens, ce qui n'est absolument pas le cas. Elle est pratiquée, mais se veut plus complexe que l’idée d’un complot industriel fomenté pour nous transformer en zombies de la surconsommation. Cette obsolescence planifiée, comme on peut aussi la désigner, englobe d’abord les multiples techniques employées par les entreprises pour raccourcir la durée de vie d'un appareil, dans un but lucratif ou non : l’introduction de matériaux plus fragiles, la création d'incompatibilités entre les composants, l’arrêt des mises à jour (ou le fait que celles-ci alourdissent le système), la non-réparabilité…
Pour Thierry Libaert, cette non-réparabilité est peut-être la pratique la plus problématique : "Soit les composants de produits sont soudés, soit les pièces à changer sont introuvables. C’est triste à dire, mais il va être parfois plus avantageux pour le consommateur d’acheter une nouvelle machine à laver plutôt que faire changer la pièce défectueuse." Fin 2015, l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) s’était d’ailleurs alarmée dans un rapport des nombreuses répercutions liées à l’impossible réfection de nos objets. "De nombreuses petites entreprises spécialisées dans la réparation ont mis la clé sous la porte cette dernière décennie", regrette l’expert.
Évidemment, ce grand gâchis a aussi les conséquences sur l’environnement qu’on lui connaît. Selon les chiffres récents du Global E-Waste Monitor, le nombre de déchets électroniques a encore augmenté de 8 % entre 2014 et 2016, passant à 44,7 millions de tonnes métriques générées. Et la France occupe une belle place au classement des plus gros pollueurs électroniques du monde.

Statista

Nous y sommes aussi pour quelque chose

Seulement voilà, l’obsolescence programmée n’est pas l’apanage des seuls industriels : "Il existe également ce que l’on nomme 'l’obsolescence psychologique', un phénomène qui nous touche directement, nous, consommateurs", poursuit Thierry Libaert. Il s’agit de cette tendance qu'ont beaucoup d'entre nous à changer de téléphone, par exemple, alors qu’il fonctionne encore très bien. Les motivations sont, là encore, diverses : envie d’avoir le modèle dernier cri, flemme de changer une batterie ou une vitre cassée…Et il va de soi que les marques encouragent ce comportement, pour perpétuer le cercle vicieux.
"L’obsolescence psychologique", c'est cette tendance qu'ont beaucoup d'entre nous à changer de téléphone alors qu’il fonctionne encore très bien
Et ce n’est pas tout : en cherchant à se procurer des produits à des tarifs toujours plus bas, nous contribuons également à alimenter la grande benne à déchets. "Car qui dit prix attractifs dit forcément qualité amoindrie", explique Martin Grunau, directeur général de Keonys, un spécialiste de la gestion du cycle de vie des produits. "On ne peut pas s’étonner qu’une imprimante qu’on aura achetée 30 euros ne dure pas des années." On vous voit venir : encore faudrait-il être sûr qu’une imprimante à 300 euros fonctionne longtemps, elle. Tout comme un smartphone à plus de 1 000 euros.

L'affichage de la durée de vie, une mesure prometteuse

C’est là que se trouve un début de réponse à l’obsolescence programmée. Si l’estimation de la durée de vie d’un produit à un niveau d’utilisation optimal était affichée sur son étiquette de vente – comme l’est par exemple le DAS (débit d’absorption spécifique) pour les téléphones mobiles – le constructeur serait forcé, au risque de ternir son image, de la garantir.
Inversement, le consommateur serait peut-être prêt à mettre plus d’argent dans un produit qu’il sera susceptible de garder plus longtemps. Et parce qu’il l’aura payé cher, il tâchera sans doute de ne pas en changer trop souvent. "Il est urgent qu’en tant que consommateur, on soit plus informé sur ce qu'on peut attendre d'un produit, sur ce qui est réaliste ou non", estime Martin Grunau. Si la durée de vie optimale d’un iPhone était affichée sur sa boîte, l’affaire des processeurs bridés aurait-elle vraiment été une "affaire" ? La question se pose.

Quatre formats d'affichage testés dans une étude de l'Ademe de mars 2016.Ademe
Une récente étude européenne a démontré que l’affichage de la durée de vie des produits influençait fortement et positivement le comportement d’achat des consommateurs. De la même manière, dans un rapport commandé par le ministère de l'Énergie, de l’Environnement et du Développement, l’idée d’un affichage de la durée de vie des produits est largement plébiscitée.

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